Jean Proulx ne fait pas exception. Mais ce professeur de l’École de criminologie de l’Université de Montréal se pose aussi des questions : qu’est-ce qui a poussé cette personne à commettre ces actes terribles ? Quelle était sa motivation ? Pouvons-nous empêcher que cela se reproduise ? Il faut savoir que Jean Proulx est une référence en matière de processus d’activation des agresseurs sexuels, qu’ils soient pédophiles, violeurs ou meurtriers. Plus précisément, il étudie les liens entre le mode opératoire de l’agresseur, sa personnalité et son mode de vie. Pendant 10 ans, la chercheuse a travaillé à temps plein comme psychologue à l’Institut national de psychiatrie criminelle Philippe-Pinel auprès d’agresseurs sexuels. Aujourd’hui encore, un jour par semaine, il se rend à l’Institut pour interroger des détenus afin de comprendre la trajectoire qui les a amenés à commettre leurs crimes, mais surtout pour élaborer des stratégies d’atténuation des facteurs de risque.
Une population hétérogène
Jean Proulx Crédit : Capture d’écran – Institut Philippe Pinel Lorsque Jean Proulx a débuté sa carrière, les groupes de recherche s’intéressaient principalement aux prédicteurs de la délinquance sexuelle, les facteurs qui mènent à l’agressivité. Mais pour le psychologue, la clé de compréhension de ces actes réside dans l’hétérogénéité des trajectoires qui conduisent à l’agression sexuelle. Ainsi, identifier les sous-groupes au sein de chaque groupe allait toujours être le travail de sa carrière, pour mieux comprendre les agresseurs et leurs attaques et se pencher sur l’histoire qui mène à la commission de ces crimes. “Certains agresseurs ont, bien sûr, des profils dits classiques : émotions négatives, fantasmes sexuels déviants, distorsions cognitives, etc.”, explique-t-il. Mais d’autres n’ont pas de sentiments négatifs, au lieu de cela, ils se perçoivent comme les meilleurs ou n’ont aucune imagination. s’ils veulent une femme, ils l’ont. Il y a des pédophiles qui ont des effets très positifs sur les enfants, disent qu’ils sont amoureux d’eux et ont des activités autres que sexuelles avec eux.
Différent, mais similaire
Si les profils des agresseurs sexuels sont variés, tout comme leurs victimes (femmes inconnues, enfants, adolescents, conjoints, un mélange de tout), Jean Proulx affirme néanmoins que tous les agresseurs sexuels ont des troubles de la personnalité. Également publié en 2014 Les voies de l’agression sexuelleun ouvrage qui analyse les processus qui amènent les hommes à abuser sexuellement des enfants ou des femmes et présente divers groupes et sous-groupes d’agresseurs, dont trois qui n’ont jamais été étudiés auparavant (violeurs conjugaux, délinquants sexuels épiphiles et sexe polymorphe). Le livre nous apprend, par exemple, que les délinquants sexuels pédophiles ont souvent des personnalités évitantes et une faible estime de soi. Ils se sentent rejetés par les adultes et accueillis par les enfants, qui semblent plus accessibles et chaleureux. Parmi les agresseurs qui s’en prennent aux femmes, beaucoup sont des antisociaux narcissiques ou souffrent d’un trouble de la personnalité limite, où la violence et les accès de rage découlent d’une incapacité à contenir leurs émotions et à contrôler leurs pulsions. Selon Jean Proulx, les agresseurs conjugaux (hommes qui agressent leur conjointe ou leur ex-conjointe) sont souvent les plus violents et colériques, recherchant un contrôle absolu. Du côté des individus sadiques (ceux qui aiment torturer, mutiler), les troubles de la personnalité schizoïde et évitante sont fréquents. Le sadisme se retrouve davantage chez les meurtriers sexuels et ils sont plus extrafamiliaux que les agresseurs intrafamiliaux.
Comprendre pour guérir
Si Jean Proulx travaille depuis tant d’années à comprendre ces dangereux criminels, c’est parce qu’il voit l’homme derrière le criminel et veut éviter la récidive. “Les personnes qui commettent des délits sexuels graves ont eu des difficultés dans leur vie et elles ne savaient pas comment les gérer”, estime-t-il. Les délits sexuels seraient pour eux une stratégie d’adaptation, apparemment inadéquate. Il faut donc être en mesure d’identifier les facteurs de risque et de les atténuer. Par exemple, s’il s’agit d’anxiété sociale ou de colère, nous travaillerons sur la gestion des émotions ou ferons un travail cognitif pour voir si les situations sociales sont interprétées correctement ou encore trouver des moyens socialement acceptables d’exprimer la colère. Une approche qui semble fonctionner, puisque sans traitement le taux de récidive chez les délinquants sexuels serait d’environ 17 %, contre entre 3 et 8 % avec un accompagnement axé sur les facteurs de risque. « Avec ma recherche et ma pratique à l’Institut national de psychiatrie criminelle Philippe-Pinel, je suis là pour les aider. Si je les traitais comme des ordures, je ne les aiderais pas à aller mieux et le taux de rechute resterait à 17 %. Je dois regarder l’humain et non le crime”, conclut le chercheur.