Les tirailleurs africains, qui composaient le corps des tirailleurs sénégalais, seront également à l’honneur lors du festival international du film historique de Pessac, qui débute lundi. Le jeudi 17 novembre sera présenté en avant-première le film de Mathieu Vadepied avec Omar Sy, Tirailleurs, qui sortira en salles le 4 janvier 2023. Il y aura un débat en présence du réalisateur et historien Anthony Guyon, auteur du livre Histoire des Sénégalais tirailleurs. lui a demandé 20 Minutes. L’historien Anthony Guyon, auteur du livre “Histoire des tirailleurs sénégalais”. -Anthony Guyon Comment s’est formé le corps des tirailleurs sénégalais qui ont participé à la Première Guerre mondiale ? Il y a toujours eu des intermédiaires dans les ports africains colonisés par les Européens. Après la fin de la traite négrière et l’abolition de l’esclavage, nous nous sommes repliés sur différentes cultures comme l’hévéa, et les agriculteurs sur le terrain devaient être protégés. Ces intermédiaires assumeront ainsi une fonction de plus en plus militaire, qui trouve son origine en 1857 dans la création par décret impérial du corps des tirailleurs sénégalais. C’est un bataillon, donc 500 hommes, dont les deux tiers sont d’anciens esclaves. Puis, au fur et à mesure du XIXe siècle, ils ont été impliqués dans l’occupation de différents territoires. Et ce corps s’agrandit de plus en plus ? En 1900 on compte 6 000 hommes, 15 000 à la veille de la Première Guerre mondiale et 200 000 combattants partent en guerre, soit en Afrique, soit en Europe. Ils ont tous utilisé des soldats africains pendant la guerre, les Belges, les Allemands, mais les Français ont été les seuls à les amener sur le sol européen. Parmi les raisons, on peut avancer que la France a un déficit démographique par rapport à l’Allemagne, et que la colonisation française est peut-être moins radicale que la colonisation allemande. Enfin, l’argument français repose sur le fait que les tirailleurs africains seraient d’excellents combattants, capables de s’adapter partout, ce qui est faux. Il y a toute une propagande française autour de ces soldats africains pour renforcer le sentiment de peur chez les Allemands et ça marche. Quelle perception les militaires français ont-ils de ces combattants africains ? Il y a du scepticisme, d’autant plus qu’on est obligé de les retirer du combat pendant six mois : ils hibernent. C’est pourquoi il y a une mémoire à Bordeaux, car ils sont alors installés dans des campements en Gironde, et beaucoup dans le Var aussi. Ce sont des soldats saisonniers, et quand leurs troupes les voient abandonner le combat pour aller à l’arrière, il y a une forme de jalousie. Mais surtout il y a beaucoup d’ignorance : on ne se comprend pas. Souvent, les tirailleurs ne se comprennent même pas puisqu’on parle bambara, peul… Combien de victimes tolérons-nous dans leurs rangs ? Nous avons environ 160 000, 170 000 soldats africains qui viennent combattre sur le sol européen et les pertes sont d’environ 20 %. De nombreux combattants sont morts en dehors de la saison des combats : ils sont morts de maladies comme la grippe espagnole. Dès octobre 1914, des rapports font état d’infections pulmonaires graves, d’engelures aux jambes… Dépêchez-vous, ils sont envoyés dans le Var et après 1916 en Gironde. Comment ça se passe en Gironde ? Ils sont envoyés au camp de Courneau à La Teste-de-Buch, où la nécropole des Natus érigée à la mémoire des 936 tirailleurs qui y sont morts a failli brûler cet été dans d’importants incendies de forêt ailleurs. Ce campement est très exposé au vent, dans des huttes préfabriquées qui s’imbibent lorsqu’il pleut. Il y a donc beaucoup de maladies pulmonaires et un nombre important de décès. Où se battent-ils en Europe ? Ils participent aux grandes campagnes de 1914 jusqu’à la victoire. Fin 1916, ils participent à la reprise du fort de Douaumont à Verdun, qui les met au jour. En 1917, ils étaient notamment utilisés sur le Chemin des Dames. C’est l’année la plus compliquée pour eux. Et en 1918 ils sont là pour défendre Reims. Ils sont également envoyés aux Dardanelles pour combattre l’Empire ottoman. Le film de Mathieu Vadepied s’appelle Tirailleurs, pas “Tirailleurs sénégalais”, un choix important, n’est-ce pas ? Oui, c’est intéressant, parce que si on voulait être juste, on les appellerait même des tirailleurs africains, parce qu’ils venaient de toute l’Afrique, et plus on avance dans le temps, moins il y a de sénégalais d’ailleurs. Pendant l’entre-deux-guerres, par exemple, des tirailleurs plus éloignés en Afrique occidentale française ont été favorisés pour empêcher une insurrection au Sénégal. Comment ce corps de tirailleurs sénégalais s’est-il développé après la guerre ? Après la guerre en France, le service militaire est réduit dans un contexte de pacifisme croissant. A l’inverse, il augmente pour les Africains, puisqu’il passe à trois ans avec un système de loterie dans les villages. Ce corps de tirailleurs sénégalais avait fait ses preuves pendant la guerre, et du côté français on espérait qu’il serait de plus en plus appuyé par l’Empire, avec en plus la vision que l’Afrique serait un réservoir inépuisable d’hommes. Le corps de tirailleur a ensuite disparu entre 1958 et 1962 avec l’accession à l’indépendance des pays d’Afrique subsaharienne. Projection-débat du film Tirailleurs, jeudi 17 novembre à 19h, au cinéma Jean Eustache à Pessac.