Alors que la COP27 bat son plein à Sharm El Sheikh (Egypte), les scientifiques multiplient ces “actes de désobéissance civile non violente”. A Berlin et Munich, dans les showrooms des marques de luxe BMW et Porsche, ou sur le tarmac réservé aux vols d’affaires de l’aéroport d’Amsterdam Schiphol, ils visent les symboles d’un art de vivre que leur travail a défini comme incompatible avec la course. contre le réchauffement climatique.
“Nous ne sommes pas là pour dire aux gens de porter des cols roulés.” Docteur en écologie à l’université de Rennes, Kaïna Privet n’en est pas à sa première action de combat. Après Munich, en Allemagne, elle est à Paris, près des Champs-Élysées, montrée aujourd’hui avec une blouse blanche sur le dos et un mégaphone à la main. “Les efforts de sobriété doivent aussi venir d’en haut”, poursuit-il. Montée, montée, dans les hautes sphères, parmi les utilisateurs d’un moyen de transport d’élite : en 2018, un rapport de l’industrie intitulé « The Jet Traveler », estimait qu’un propriétaire de jet avait une fortune moyenne de 1,5 milliard d’euros. Et ce, alors que “80% de la population mondiale n’a jamais mis les pieds dans un avion, et je ne parle même pas de ceux qui ont déjà volé en jet privé”, note l’écologiste. Docteur en écologie, Kaïna Privet prend la parole lors d’une action du collectif Scientifiques en Rébellion, le 10 novembre 2022, à Paris. (MARIE-ADÉLAÏDE SCIGACZ / FRANCEINFO) Au niveau individuel, “les individus de statut socio-économique élevé contribuent de manière disproportionnée aux émissions et ont un plus grand potentiel de réduction”, écrivent les auteurs du GIEC dans leur dernier rapport. Mais dans le détail, en France, les émissions de gaz à effet de serre des avions privés ne représentent que 0,1 % des émissions terrestres du pays. “Ce n’est pas beaucoup, mais comparé au petit nombre de personnes derrière ces spectacles et aux services rendus à la société par cet usage, c’est énorme”, pointe le sociologue Milan Bouchet-Valat. Le personnage, apparemment moqueur, est porteur d’une haute valeur symbolique, à l’heure où les citoyens sont appelés à faire des efforts. « Un vol de quatre heures [en jet] envoie plus d’un Européen en un an”, précise le collectif, qui a choisi de qualifier les utilisateurs de ces avions de “grands voleurs”. “Nous ne visons pas des individus, des riches en tant que tels, mais un modèle de société”, explique Ariane Lambert-Mogiliansky, économiste et chercheuse associée à l’Ecole d’économie de Paris. Selon elle, les discours relativisant l’impact des vols en jet privé font écho à ceux qui ont défendu l’arrosage des golfs alors que la France connaissait cet été une sécheresse d’une ampleur sans précédent. Car, dit-il, « le réchauffement exacerbe les inégalités partout : entre les pays et à l’intérieur des pays, là où les plus pauvres souffrent de l’explosion de leurs factures énergétiques. Un système qui pourvoit aux intérêts de 0,01 % de la population est intenable. ”
Ariane Lambert-Mogiliansky, professeur d’économie, participe à une action du collectif Scientifiques en Rébellion, à Paris, le jeudi 10 novembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO) Ces inégalités entre les plus riches, dont les modes de vie sont les plus polluants, et les plus pauvres, qui souffrent le plus des conséquences du réchauffement climatique, sont également au menu des discussions de la COP27. Ils s’intègrent notamment dans la question du financement des “pertes et dommages”, c’est-à-dire les dommages subis par les pays en développement du fait de l’augmentation de la température, responsables de la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations. . Mais parmi les scientifiques réunis devant le siège de Dassault Aviation, le pessimisme règne quant à l’issue du sommet sur le climat : « Les gouvernements des pays développés avaient promis en 2009 de donner 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 aux pays en développement. pour financer l’adaptation au changement climatique Aujourd’hui, on constate que le projet de loi n’existe pas et que les promesses visant à réduire les inégalités dans le monde ne sont pas tenues”, déplore l’écologiste Lauranne Gateau. Alors ces scientifiques espèrent inciter la population à faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils tiennent leur promesse, y compris les plus vulnérables, chez eux comme à l’autre bout du monde. « Pendant longtemps, la mission des scientifiques a été d’informer les décideurs. Aujourd’hui, ces derniers ont l’information et n’en font rien », poursuit le chercheur. “Nous continuons à ne projeter que de la croissance, alors que la population veut avant tout un toit, pour pouvoir nourrir, se réchauffer et élever ses enfants dans un monde durable”, ajoute-t-il. Milan Bouchet-Valat, sociologue, participe à une action du collectif Scientifiques en rébellion, à Paris le 10 novembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO) La couverture médiatique offerte par la COP27 et la crise énergétique qui touche le continent européen, ainsi que le souvenir encore frais d’un été atypique, offrent une occasion idéale de faire passer ce message de convergence entre enjeux environnementaux et sociaux. Même si cela signifie une inquiétude du public face à cette ligne de conduite, une désobéissance civile, qui va à l’encontre de la réserve traditionnellement observée par les scientifiques. “Toutes les formes d’action sont importantes, estime Milan Bouchet-Valat. Des actions en justice, des activités de recherche qui permettent de faire avancer les connaissances (…) Nous tirons sur tous les cylindres.”