Grève des labos, contrôle inadapté, système de surveillance vétuste… Depuis près d’un mois, plusieurs facteurs ont perturbé l’interprétation des données sur la surveillance de l’épidémie de coronavirus en France, dont la 8e vague d’infection a atteint son pic vers la mi-octobre. Malgré le calme, les autorités sanitaires continuent de sensibiliser les Français au respect des règles d’isolement et des gestes barrières. “Même si la situation épidémique est plutôt calme depuis trois semaines, une personne meurt du Covid toutes les dix minutes en France”, rappelait la semaine dernière le ministre de la Santé François Brun auprès de nos confrères de la Parisien. De son côté, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a de nouveau recommandé à BFMTV le port du masque dans les transports en commun.
Les ateliers en grève
A ce jour, les données transmises quotidiennement par le SPF ne sont pas a priori alarmantes. Par exemple, le 14 novembre, une moyenne de 23 066 cas ont été détectés par jour, contre 27 488 le 9 novembre. Mais la grève, entre le 27 octobre et le 2 novembre, d’une grande partie des laboratoires de biologie médicale – chargés de communiquer les résultats des tests PCR – a eu “pour conséquence l’arrêt de la production d’indicateurs virologiques”, explique le SPF dans le journal épidémiologique rapport du 10 novembre. Les laboratoires ne sont pas d’accord avec l’article 27 du projet de loi de financement de la sécurité sociale en 2023 par lequel l’Etat leur demande de verser 250 millions d’euros par an. Il s’agit de compenser le chiffre d’affaires important enregistré depuis le début de la pandémie de coronavirus grâce aux nombreux tests antigéniques et PCR réalisés. “Le brouillard de la surveillance sanitaire française s’est encore épaissi récemment avec les mouvements de grève des biologistes”, explique pour BFMTV.com Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève. Car un nouveau mouvement de grève a démarré depuis le lundi 14 novembre. Elle doit durer jusqu’au mercredi 16 novembre, mais pourrait bien être renouvelable. A cela s’ajoutent les performances dues aux deux jours fériés de novembre – pendant lesquels beaucoup moins de tests ont lieu – qui assombrissent encore les tendances. Cependant, le SPF se défend et considère que “la dynamique des tests antigéniques seuls (qui représentent plus de 50% du total des tests) est fortement corrélée à la dynamique de l’ensemble des tests” et permet donc un suivi plus ou moins précis de l’épidémie. .
L’ambiguïté autour de BQ.1.1 et la baisse du nombre de tests
L’absence de transmission des résultats du test PCR implique cependant une ambiguïté dans l’analyse de la prévalence des sous-variants d’Omicron dans la population française. C’est le cas du BQ.1.1, qui progresse depuis plusieurs semaines et pourrait bientôt être majoritaire, dont le ratio SPF n’a pas pu être déterminé dans les tests effectués en raison d’un “nombre de séquences trop faible pour avoir des ratios forts”. Par ailleurs, le nombre d’examens, en plus des grèves de laboratoires, pose également question. “Il n’est plus possible en France depuis quelques semaines de suivre l’évolution de la pandémie en raison de l’effondrement de la pratique des tests PCR, y compris dans les hôpitaux”, a poursuivi Antoine Flahault. Dans son bilan hebdomadaire de suivi des tests du 10 novembre, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) rapporte que « le nombre de tests PCR validés entre le 2 et le 6 novembre, suite à ces perturbations, est inférieur de 24 % à ce qu’il était entre Les 19 et 23 octobre, deux semaines plus tôt, avant la tourmente.” Sachant que le nombre de tests (antigènes et PCR) est déjà très faible : 106 192 tests en moyenne par jour le 11 novembre contre 216 416 le 12 octobre ou 1 385 698 le 15 janvier – lors de la plus forte vague d’infections.
Un système douteux
Outre ces difficultés concernant la période actuelle, le système de surveillance français est critiqué par les épidémiologistes. “Le traçage des tests ne permet plus de tracer l’épidémie”, a déploré Dominique Costagliola, épidémiologiste et directeur de recherche Inserm à l’IPLESP, auprès de BFMTV.com. Elle est rejointe par Antoine Flahault. Selon lui, “la France ne dispose pas, depuis le début de cette pandémie, de moyens lui permettant de mener une surveillance épidémiologique fiable du Covid”. Il prend ensuite l’exemple du Royaume-Uni, qui “sait organiser et maintenir une enquête permanente sur sa population, dans laquelle ils prélèvent des échantillons et mènent une enquête qui donne une image plus précise de la situation épidémiologique du pays”. Ou encore les Pays-Bas et leur “système de surveillance virologique quotidienne avec prélèvement des eaux usées de 350 stations d’épuration réparties sur tout leur territoire”. L’épidémiologiste a alors salué leur “stratégie intensive de séquencement des virus identifiés qui leur permet de réaliser une cartographie en temps quasi réel de l’évolution des variants sur leur territoire”, alors que la France est “immergée dans un brouillard de plus en plus dense”.