À lire aussi : La majorité face au spectre de la dissolution de l’Assemblée nationale : “Si on y réfléchit on en sortira brisé en 1.000 morceaux” Pour autant, l’affaire ne semble pas tirée par les cheveux dans un contexte de majorité relative au Palais Bourbon, avec un gouvernement contraint de faire passer ses textes à grands coups de 49.3 et sous la menace d’une éventuelle motion de censure des LR. C’est aussi la quatrième fois que la menace est écartée par l’exécutif et son entourage en moins de deux mois. D’abord fin septembre, par des déclarations d’Emmanuel Macron rapportées à la presse avec la bénédiction de l’Elysée. Puis publiquement sur France 2, le 26 octobre, quand le chef de l’Etat rappelle que l’article 12 de la Constitution est une “entrée dans les mains du président”. Enfin, avant l’article du JDD, la Première ministre, Elizabeth Born, soutient l’idée dans le journal portugais Publico : « Un retour aux urnes pourrait être une voie. Au vu de l’opération de déminage menée par différents ministres ces derniers jours, la dissolution ne semble pas imminente. “Je n’y crois pas du tout à ce stade, je pense que ce serait de la folie”, a déclaré un ministre à franceinfo. “Je pense qu’il n’y a pas de volonté présidentielle, renchérit un autre membre du gouvernement. Les sondages montrent que le rapport de force ne change pas.” Un récent sondage Ifop montre que l’extrême droite serait actuellement gagnante en cas de rupture. “Si nous rompons, à quoi cela mènera-t-il ? Nous n’aurons toujours pas de majorité et de développement RN.” Député de la Renaissance chez franceinfo Mais alors, à quoi servent ces rappels réguliers ? “Cela permet de préparer l’opinion publique pour que si ça arrive, ce ne soit pas vécu comme une décision brutale, mais comme un acte préparé, réfléchi. Alors, ils sèment des petits cailloux”, explique le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof. . Beaucoup dans le camp présidentiel pensent que la Convention ne durera pas jusqu’en 2022 et qu’il faut donc se préparer. “Je crois à la dissolution, mais dans un an. C’est trop tôt là”, confie le chef de la majorité. « Quand Gérard Larche [président du Sénat] nous dit dans Le Parisien que LR n’hésitera pas à activer une motion de censure, il faut être prêt”, estime Loïc Signor, représentant de Renaissance, qui confirme l’existence d’une refonte et d’un projet de son parti pour “des considérations juridiques et financières”. “. “Avec une rupture, le délai est extrêmement court, donc c’est normal de se préparer”, ajoute-t-elle. Pour Bruno Cautrès, cette stratégie des petits signaux envoyés à intervalles réguliers met aussi la pression sur Les Républicains. D’un côté, Emmanuel Macron tend la main à la droite et évoque la possibilité d’une “alliance”, selon “l’accord politique” réclamé par Nicolas Sarkozy. En revanche, le président de la République n’hésite pas à anticiper le pire. “LR est définitivement le groupe qui a le plus à perdre en cas de rupture. Alors l’exécutif dit : ‘Si vous ne soutenez pas les projets du gouvernement, c’est là qu’on va’”, estime le politologue. . Je ne suis pas sûr que cela soit de nature à apaiser les députés LR. “Ils essaient de nous intimider, de nous violer. Mais quand je suis menacé, ça me donne envie de riposter”, prévient le député LR Julien Dive. “On prend ses distances avec ces prises de position politiques”, assure la députée Annie Genevard, présidente par intérim de LR. Mais pour LR Nicolas Forissier, la droite doit être un peu plus prudente. « Cela permet de remettre Les Républicains devant leurs responsabilités, estime le député Indre. Un jour il faudra couper la ligne, car LR a la clé pour permettre la stabilisation politique. Nous avons une majorité au Sénat et un point d’appui de groupe dans l’Assemblée’. “Personne n’a d’intérêt à la dissolution aujourd’hui, alors s’il vous plaît, trouvez la culture de notre gouvernement.” Nicolas Forissier, député LR chez franceinfo L’ancien ministre des Affaires étrangères reste minoritaire au sein de son groupe, même s’il estime que “10 à 15 députés LR” partagent son avis, “avec plus ou moins d’intensité”. Dès lors, la majorité des LR veulent rester fortement opposés et avancer texte par texte. “Soit Macron prend le bon virage et on peut travailler avec lui, soit il décide de ne pas trancher. En ce moment pourtant, on a surtout l’impression que la majorité casse plus vite que prévu”, juge un panel LR. « Par exemple, le ministère de l’Intérieur nous a promis des montagnes et des miracles pour la loi sur l’immigration et là, on sent que ça déraille, poursuit l’élu lui-même. Macron oblige Darmanin à “dépersonnaliser” son texte [du nom du ministre du Travail, Olivier Dussopt]Le gouvernement sent déjà le danger de ce projet de loi. “On fait du ‘simultané’, mais ça va permettre à LR de se différencier”, déplore un ministre. Les députés LR estiment que la menace de retour aux électeurs ne vise également pas que leur groupe. « Je pense que ça sert plus à mettre le mot ‘rupture’ dans la tête de tous les élus, y compris la majorité. “Macron veut faire passer un message : ‘c’est moi ou le chaos’”, explique Annie Genevard. Plusieurs membres de la majorité ont en effet exprimé ces dernières semaines, par le biais d’amendements, des vœux d’indépendance. “C’est sans doute un message pour la majorité, à la mode : ‘il y a un patron qui peut appuyer sur le bouton quand il veut, donc il faut être là pour voter sur les textes’”, reconnaît un député de la Renaissance. Mais l’extorsion pour dissolution exprimée pour la énième fois dans Le JDD a le don d’agacer les députés, lorsqu’ils parviennent à trouver des compromis, notamment avec la droite sénatoriale, sur le projet de loi visant le développement des énergies renouvelables. “Quand on montre qu’on peut travailler ensemble au Sénat, c’est très contre-productif”, s’inquiète un responsable de la majorité. “Tout cela n’a aucun sens. C’est du bluff. Mais bon, je ne trouve pas ça très approprié”, renchérit un responsable de la majorité. “Cela ne risque pas de mobiliser les députés dans la circonscription. Plus il y a de rumeurs de ce genre, plus les députés se disent qu’ils doivent passer du temps dans la circonscription.” Un cadre majoritaire chez franceinfo “Le point de rupture reviendra tous les six mois comme un Arlésien”, a prévenu Stéphane Cezournet, patron de Renaissance, lors d’une réunion inter-équipes majoritaire. “Compte tenu de l’organisation des travaux, de votre mobilisation et des textes, il n’y a pas grand-chose à craindre sur le sujet.” Mais le politologue Bruno Cautrès prévient qu’en matière de communication politique, il y a « l’effet de la prophétie auto-réalisatrice » : « En répétant quelque chose, ça finit par arriver. Quand on provoque sans cesse une possibilité, on crée les conditions de sa réalisation. Le scénario de la dissolution est désormais bien ancré dans les esprits. Peu de députés imaginent que la 16e législature touche à sa fin. “Avec un seul 49,3 par session du Parlement [hors textes budgétaires]ça paraît compliqué de penser qu’on va tenir encore quatre ans et demi », reconnaît la députée LR Annie Genevard.