Jean Viard En France, il y a 16 millions de maisons individuelles et 12 millions d’appartements. Sur les 12 millions d’appartements, près de la moitié sont occupés par des célibataires. A Paris, c’est l’analogie. Le développement des études a bouleversé les villes qui deviennent le haut lieu des jeunes et des touristes. C’est le modèle qui prévaut aujourd’hui pour les villes. Au lieu de cela, le modèle de logement idéal pour les familles est celui d’une maison individuelle avec jardin ou d’un appartement urbain avec une résidence secondaire. La France est le grand pays des résidences secondaires puisqu’on en dénombre environ 3 millions sur le territoire et 1,5 million à l’étranger. Tout cela signifie que sur les 12 millions d’appartements, la moitié sont occupés par des personnes seules et qu’un quart de cette population possède une résidence secondaire. Il existe donc deux grands types d’habitat en France : les maisons individuelles ou mitoyennes et, en bout de ligne, les personnes qui n’habitent que dans des immeubles collectifs et des banlieues. Cela aide à comprendre la volonté profonde des gens lorsqu’ils ont le choix : ils veulent des maisons. Ceci est complètement à contre-courant de tous les discours des urbanistes depuis la guerre expliquant qu’il faut densifier la ville, notamment en hauteur. Mais ce n’est pas ce que les gens veulent. Qu’est-ce qui renforce l’idée que la place de la maison individuelle est aujourd’hui centrale dans l’imaginaire français ? JV C’est en effet central. Mais cela répond à de nombreuses envies raisonnables et différentes. En France, environ 50% de la population vit dans son département de naissance. Ces personnes sont donc restées dans leurs petites villes et vont travailler tous les jours dans la grande ville environnante. Le Massif Central en est un bon exemple. Ceux qui sont restés en campagne ont fourni l’essentiel des bataillons des gilets jaunes. A cela s’ajoute l’arrivée d’une nouvelle population sur les 3,5 millions de fermes qui ne sont plus des fermes mais attirent l’habitant qui rêve d’espace et de jardin. Que ce soit pour une maison de banlieue ou une résidence secondaire. Reste la question des lotissements et de l’étalement pavillonnaire qui est le modèle de la ville moderne aux États-Unis, en France, en Angleterre. Cela vient avec les supermarchés, les ronds-points, etc. Cela correspond à l’inclusion des enfants des classes populaires dans la propriété alors que les parents vivaient dans des logements collectifs dans les villes. Souvent, le fait que ces familles acquièrent une propriété au début des années 1970 coïncide avec la généralisation du salaire fractionné, l’homme et la femme travaillant. Sans surprise, ces populations étaient au centre des mouvements des gilets jaunes. C’est le symbole de Saint-Dizier où personne ne vit mal dans un lotissement avec une maison individuelle, mais où c’est loin de tout et où cela ne suffit pas et où on a l’impression d’être à l’abandon. D’où les rassemblements aux ronds-points. Ce que la pandémie a accéléré – apportant ainsi un éclairage nouveau sur la maison unifamiliale -, c’est le modèle “bobo-travailleur”. Ils vont dans le patrimoine français des résidences secondaires, où il y a de l’architecture, de l’histoire, des forêts, etc. Ils vivent généralement dans des appartements urbains, et sont à la recherche d’une résidence secondaire, ou pire, d’une autre vie. Ailleurs. En 2021, 800 000 maisons avec jardin ont été vendues en France. Et Paris a perdu 6 000 enfants des écoles en 2020 et 2021, à contre-courant d’une tendance déjà en place depuis que la capitale a vu 3 000 enfants décrocher par an pendant cinq ans. Ainsi, la pandémie a créé un mouvement de population dont les effets structurels sont encore difficiles à percevoir, mais qui modifient déjà les opinions et les perceptions. Autrefois, quelqu’un qui vivait à Tours se demandait constamment s’il devait ou non aller vivre à Paris. Désormais, c’est l’inverse, Tours devient attractive et les Parisiens l’adorent car elle n’est qu’à une heure de Paris et allie patrimoine, histoire et sites. Cela redessine la France du désir, très intéressante pour l’appréciation des terres. La norme pour cette population est de se rendre à Paris ou à Lyon une à deux fois par semaine. Ce qui est basé sur ce nouvel accord peut aussi conduire à un profond renouveau démocratique. Pourquoi ne pas imaginer le double suffrage ? L’un pour l’endroit où vous habitez, l’autre pour l’endroit où vous travaillez. A Paris, un million de personnes viennent travailler chaque jour. Dans les grandes villes comme Paris, aujourd’hui, il y a encore des jeunes, des touristes, des hauts fonctionnaires et aussi des soignants qui vivent en banlieue parce qu’ils n’ont pas les moyens de vivre dans la grande ville. . Tout cela semble refléter un profond changement de modèle de société, non ? JV Complètement, du moins en ce qui concerne la conception du lieu de résidence. Nous sommes en train de passer de la deuxième maison au deuxième modèle de ville. Sur l’esplanade de la Défense, alors que les gens ont moins envie de venir au bureau, une réflexion révolutionnaire est en cours. L’idée est de créer, sur la dalle, une maison en bois de trois pièces, où l’on pourrait louer un appartement deux jours par semaine avec effets personnels et effets personnels. Au départ de la personne, tout est enlevé et rangé ailleurs pour faire place à quelqu’un d’autre et tout est livré la semaine suivante au retour du salarié le lundi/mardi. L’idée est de faire en sorte que les gens soient vraiment chez eux lorsqu’ils s’y trouvent, mais qu’ils puissent vivre ailleurs le reste de la semaine. Le voyageur voyage sans valise. C’est un service de conciergerie à domicile dans les villes où il y a du travail. On ne peut pas aller à l’encontre de ce mouvement de fond. Les gens veulent avoir une maison, un jardin, un barbecue, un chien et pouvoir planter des arbres. Ils veulent un endroit pour recevoir des amis, où l’on peut se garer, où l’on peut faire du bruit, de façon relativement festive. Comme si l’imagination du Club Med se limitait à l’hébergement individuel et à la villa. Ce sera la principale tendance des années à venir. La densification du périurbain et donc son développement est au centre des enjeux. Condens le péristaltique, c’est-à-dire ? JV Il faut partir du désir des gens, qui rêvent tous d’une maison avec jardin, plus proche de la grande ville, dans une zone urbaine dynamique. Le modèle urbain de demain aura deux moteurs : la métropole, où le web numérique croise les forces économiques, culturelles et politiques, et l’agroforesterie, base nutritionnelle et récréative. Il s’agira de vivre entre les deux, de protéger les terres arables. Comment épaissir ce périurbain ? Je crois que la ville écologique de demain sera une ville tentaculaire et dense. Attention, densifier ne signifie pas construire des immeubles en zone périurbaine, cela signifie multiplier le nombre de maisons. Fondamentalement, au début, les complexes de logements étaient des parcelles de 2 500 mètres carrés. Maintenant, nous fabriquons des maisons avec des parcelles de 300 mètres carrés, et 300 mètres carrés vous suffisent en fait, cela vous permet de sortir, même d’avoir une petite piscine, etc. Que la végétation vous protège, qu’elle ait une vue, qu’elle ait du soleil. Personnellement, je crois fermement à la densification de l’agglomération, à sa réorganisation en archipel, entre la forêt, les fermes et le patrimoine. Cela permet un épaississement du lien social, donc les avantages sont nombreux. Au premier rang de celles-ci : une culture écologique de la mobilité, une réorganisation démocratique également. C’est-à-dire qu’il faut créer de grandes communes et retoucher la zone. De Gaulle aurait pris un avion, survolé le territoire et décidé de créer une centaine de communes justement pour lutter contre l’isolement et l’étonnante densité des quartiers. L’idée est aussi de voir la nature. Nous en avons encore plus besoin après la pandémie. Il y a des villes comme Rennes qui ont fait un travail fantastique de “ville archipel” en disposant toutes les maisons autour des fermes pour que chacun puisse voir soit une ferme, soit une forêt, soit une partie du patrimoine urbain. La réinstallation des individus dans une zone de citoyenneté est essentielle. Les gens veulent une proximité géographique. Il faut aussi revenir au précepte de Jules Ferry selon lequel les fonctionnaires devaient habiter à proximité de leur lieu de travail. La hiérarchie du logement ne devrait plus être fonction du revenu, mais du lieu où le travail est effectué. L’éco-maison individuelle existe-t-elle déjà ? JV Pas vraiment et c’est un problème. Parce qu’elle permet aux urbanistes d’expliquer sans cesse que l’étalement périurbain est une catastrophe. Tout dépend de la façon dont vous le faites. De plus, l’étalement périurbain a également la capacité de réduire le solde de mobilité des personnes en général. Les personnes qui ont une maison avec jardin se déplacent statistiquement moins le week-end et prennent moins l’avion pour se rendre à Marrakech. Croyez-vous à l’avènement de la pool society ? JV En la matière, il faut savoir garder raison. Il y avait environ 300 000 piscines supplémentaires en 2021, et il y a environ 3 millions de piscines dans tout le pays. Cela reste donc quelque chose de marginal, dans le sens où cela ne concerne pas tout le monde. Cela dit, cette vague reflète encore une fois le désir d’un mode de vie…