Posté à 5h00
                        Charles Lecavalier La Presse                     

« Pour l’année en cours, nous n’avons pas constaté d’effet des bourses sur les inscriptions. Il faut dire que plusieurs programmes admissibles atteignent leur capacité année après année », souligne Isabelle Huard, conseillère en relations médias à l’Université de Sherbrooke. Dans cette université, le nombre d’inscriptions n’a guère changé entre l’automne 2020 et l’automne 2022. Et pour le seul programme qui a connu une augmentation notable du nombre d’étudiants, le baccalauréat en travail social, c’est le fait que nous avons augmenté la capacité d’accueil du programme l’an dernier, ce qui est passé de 85 postes à 120 postes », note Mme Huard. Mais d’autres installations ont connu une baisse. À l’Université de Montréal, le nombre d’étudiants inscrits à temps plein dans les programmes ciblés par le gouvernement du Québec a diminué : de 4 739 étudiants en 2020, il y en a 4 450 en 2022. Les plus fortes baisses : dans l’enseignement (1850 aujourd’hui, contre 2000 deux ans plus tôt) et les soins infirmiers (de 1078 à 829 aujourd’hui). Cependant, tous ces étudiants, après avoir réussi leur semestre d’automne, seront éligibles pour une bourse de 2 500 $. Cependant, l’UdeM constate une augmentation du nombre d’entrants en TI.

Augmentation à Laval

À l’Université Laval, il y a aussi une augmentation en génie et en TI. Le nombre d’étudiants de premier cycle en informatique est passé de 300 à 459 entre 2021 et 2022, et les inscriptions dans les programmes de génie informatique, de génie logiciel, de génie mécanique et de génie physique augmentent également. Mais même si l’Université Laval voit une augmentation de ses étudiants accédant aux bourses Perspective Québec (+ 902), y compris en enseignement, elle constate tout de même une légère baisse de son personnel infirmier. À l’Université du Québec en Outaouais, il y a une légère diminution des cohortes entre 2020 et 2022 en éducation et santé. À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, le nombre d’étudiants inscrits à temps plein dans les programmes éligibles aux bourses est passé de 1 021 en 2020 à 830 en 2022. Ce qui explique notamment la baisse du baccalauréat en sciences infirmières par rapport à l’automne de 2020 à l’automne 2022 », explique Stéphanie Duchesne, directrice des communications et du recrutement à la fondation.

“Changer le visage du marché du travail”

Le gouvernement Legault avait annoncé ce généreux programme de bourses en grande pompe à l’automne 2021. « Le programme de bourses Perspective Québec a le potentiel de changer le visage du marché du travail au Québec et de contribuer au développement de notre société », a affirmé son ministre. Emploi alors, Jean Boulet. Dotée d’un budget de 1,7 milliard sur 4 ans, soit 425 millions par année, elle s’inscrit dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre du gouvernement Legault. « Conjointement par plusieurs ministères, [il] se veut une réponse au manque de ressources humaines dans certains secteurs jugés prioritaires et stratégiques pour l’avenir du Québec ». Le programme permet aux étudiants du baccalauréat de recevoir 2 500 $ par session et aux étudiants de certaines techniques collégiales de recevoir 1 500 $ par session. Seul un certain nombre de programmes, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et des technologies de l’information, sont ciblés par l’État.

Quel impact ?

Pier-André Bouchard St-Amant est professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et expert en économie des institutions publiques. Le directeur du groupe de recherche appliquée sur les finances publiques étudiera l’efficacité du programme de bourses dans les années à venir. Il estime qu’en général « lorsque vous subventionnez un programme, cela a un impact. Avant de rendre son verdict, il doit faire la distinction entre la tendance normale et l’effet des bourses sur la décision des étudiants. La baisse des inscriptions dans les programmes de soins infirmiers aurait pu être plus importante sans les bourses, dit-il. Mais il remet en cause la décision du gouvernement de subventionner des programmes déjà épuisés : « Vous donnez de l’argent à des gens qui ne changeraient pas leur décision, subvention ou non. Accorder des bourses à des personnes déjà inscrites dans un programme où il y a déjà une limite d’inscription est moins utile », souligne-t-il.

Promotion retardée

Quant aux cégeps, nous pensons qu’il est trop tôt pour vérifier si les bourses attirent les foules. Bernard Tremblay, directeur général de la Fédération des cégeps, souligne que la promotion de ce programme de bourses est arrivée « trop tard », après la date limite du 1er mars 2022 pour les demandes d’admission. Il estime qu’un programme de bourses est un “élément clé” de l’action gouvernementale pour lutter contre les pénuries de main-d’œuvre, mais que d’autres solutions devront être trouvées. Il craint, par exemple, que certains programmes non boursiers soient évités et qu’il y ait un simple effet de déplacement. M. Tremblay serait favorable à une réflexion plus large. « Si nous avons des problèmes pour recruter des étudiants en informatique, pouvons-nous voir ce qui se passe sur le terrain ? Il faudrait regarder la capacité de nos élèves à se qualifier pour ces cours, par exemple en encourageant les élèves du secondaire en mathématiques », souligne-t-il.