Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021, des migrants sur ce bateau en difficulté ont appelé ou tenté d’appeler les secours français à 18 reprises. Ils ont appelé soit le 196, numéro de Cross, qui dépend de la préfecture maritime, soit le 112, numéro du Samu qui transfère ensuite les appels vers Cross. Dans six cas, des migrants en danger ont envoyé leur géolocalisation à Stavros, selon un extrait du premier appel : “Je t’ai envoyé notre position sur WhatsApp, tu l’as ?” demande un passager sur le bateau. “Je n’ai rien reçu. Pas encore”, a répondu Stavros. « Mais je te l’ai envoyé, c’est peut-être un problème de connexion. – Oui, je pense que c’est votre réseau. Mais revenons à votre téléphone. Quand je prendrai ta place, je t’enverrai un bateau de sauvetage”, assure Stavros. « Et maintenant vous l’avez reçu ? demande l’immigré. « Oh oui, j’ai compris ! Eh bien, attends, j’appelle un canot de sauvetage” Cependant, la Croix n’envoie pas de bateau de sauvetage. Il prévient les secours anglais à Douvres, pariant sur le fait que les migrants atteindraient bientôt les eaux britanniques. Les passagers à bord, surtout des femmes et des enfants, paniquent. Ils continuent d’invoquer la Croix encore et encore. Il y a des larmes, il y a des cris. L’opérateur leur dit de “rester calme” et que “l’aide va arriver”.
Migrants secourus dans la Manche : “En France, on n’en fait pas assez, mais surtout on s’en sort mal”, déplore une association A 2h28 du matin, les migrants ont finalement atteint les eaux anglaises. Cross, le centre régional des opérations de surveillance maritime et de sauvetage, reçoit la nouvelle position du navire et alerte ses homologues britanniques. Un quart d’heure plus tard, nouvel échange entre les humanitaires français et les migrants. La situation est très confuse, il faut dire que 40 bateaux ont tenté de traverser la Manche cette nuit-là. “hé aidez-moi pouvez-vous m’aider?” écoutez l’échange. « Je n’ai pas votre position. Je ne peux pas vous aider. “Je vous l’ai déjà donné”, répond l’immigré. “Vous m’avez dit que nous étions dans les eaux anglaises.” “Alors vous pouvez appeler le 999”, insiste Stavros. « Oui j’ai appelé le 999 mais… – Quoi ? – J’ai appelé le 999 mais… » L’immigré ne termine pas sa phrase : « Tu peux attendre, je te passe l’anglais. L’opératrice raccroche, on l’entend dire à une collègue : “Allez pschitt, ton truc sur l’immigrant là-bas.” La pirogue continue de dériver, les migrants continuent d’appeler à l’aide. Mais Stavros considère que ce n’est plus sa responsabilité. Voici le compte rendu de l’appel de 3h31 : “Bonjour ? – Oui. – Aidez-moi s’il vous plaît, je suis dans l’eau”, explique un migrant. “Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises”, répond Stavros. “Non non, pas les eaux anglaises, les eaux françaises. Pouvez-vous venir vite ? Non non, vous êtes dans les eaux anglaises, attendez, je vous remets aux garde-côtes anglais.” La conversation s’interrompt et on entend l’opératrice dire par-dessus bord : “Eh bien, vous n’écoutez pas, vous n’allez pas être sauvé.” Ou : “J’ai les pieds dans l’eau… eh bien, je ne t’ai pas demandé de partir.” Le professeur Emmanuel Daoud est l’avocat de nombreuses familles de victimes. Il estime qu’il y a eu une faute lourde de la part des sauveteurs français : « Volontairement, nous ne les avons pas secourus, au motif que ce navire dérivait vers les eaux territoriales anglaises. Il y a un franco-britannique, rappelle l’avocat, qui oblige chacune des parties à intervenir immédiatement en cas d’urgence. Migrants : nouvel accord signé entre la France et le Royaume-Uni pour freiner les passages outre-Manche “Nous leur avons délibérément menti quand nous leur avons dit que les secours arrivaient, nous leur avons dit et répété. Et quand nous entendons les cris des êtres humains en détresse, quand nous entendons les cris des femmes et des enfants, nous ne gérons pas les choses administrativement.” Emmanuel Daoud, avocat de nombreuses familles de victimes chez franceinfo En réponse à cette enquête accablante, le chien de garde de Cross, la préfecture maritime de la Manche, explique qu’il n’a pas accès au dossier judiciaire et ne peut commenter des informations fragmentaires. Le porte-parole a déclaré à la Cellule de recherche de Radio France que ses équipes mettent tout en œuvre pour sauver les migrants, mais rappelle que les traversées augmentent de façon exponentielle. Enfin, le dossier judiciaire ne mentionne pas l’activité des humanitaires anglais cette nuit-là. On ne sait toujours pas pourquoi ils ne sont pas intervenus.