Quand avez-vous appris ce qui s’était passé au lycée Bourdelle ? Le port de l’abaya est un phénomène qui a débuté à la fin de l’année dernière, mais qui a pris de l’ampleur dès la rentrée scolaire. Au lycée Bourdelle, nous comptions au total une vingtaine d’élèves sur plus de 2 500 portant des abayas avant la Toussaint. La difficulté est que le port de l’abaya n’est pas interdit par la loi, sauf s’il est porté avec l’intention délibérée de lui donner une signification religieuse et donc une revendication d’identité religieuse. Dès que j’ai été informé de cette montée en puissance, je me suis physiquement déplacé dans l’établissement le 3 octobre pour mesurer l’ampleur du phénomène et en tirer les conclusions qui s’imposaient, à savoir qu’une procédure devait être mise en place. En quoi consiste ce processus ? C’est un processus académique. Dès qu’une circulaire sortait du ministère, il fallait avec ce protocole qui était mis en place avec le responsable du magasin, il fallait s’assurer que les élèves qui le portaient, le faisaient parce que c’est à la mode ou parce que derrière ça a une approche religieuse. Ce processus, qui comprend une phase de dialogue avec les élèves et leurs familles, a commencé. Certaines étudiantes le portaient en alternance, arrivant tantôt avec un jean, tantôt avec l’abaya. En revanche, le proviseur a identifié quatre élèves qui le portaient systématiquement. Avant les vacances, la période de dialogue avec les familles s’est terminée et pendant les vacances nous avons informé les parents que leurs enfants n’étaient plus admis à l’institution portant l’abaya. Sur les quatre jeunes filles, trois ont cessé de le porter, réalisant que la procédure disciplinaire pouvait mener à l’expulsion. Comme quoi la stabilité peut aussi payer. Une seule fille a clairement affirmé porter l’abaya et a refusé de l’enlever. Nous n’avons pas eu à aller jusqu’au processus d’exclusion car elle a décidé de démissionner toute seule, elle a 17 ans et n’est pas obligée de fréquenter l’école obligatoire. Il n’est plus sur place. Après la mise en place de cette mesure, il y a eu un apaisement : le dialogue porte ses fruits avec les familles, la menace de sanctions aussi pour certaines. Les choses sont revenues à la normale. Cette jeune femme a cependant tenté de mobiliser ses camarades en distribuant des tracts appelant ses camarades à manifester le 9 novembre devant l’établissement portant l’abaya. C’était un échec. Cette jeune femme a partagé sa conversation avec son professeur sur les réseaux sociaux. Quelles mesures ont été prises à ce niveau ? Nous avons été prévenus de la diffusion de cette vidéo sur les réseaux sociaux. J’ai attiré l’attention du directeur, je lui ai demandé de rencontrer l’enseignante et je l’ai encouragée à porter plainte. Je lui ai fourni une protection fonctionnelle pour l’accompagner dans ces démarches. Le proviseur a pris rendez-vous avec les parents de cet élève pour les informer que le proviseur et l’enseignant avaient porté plainte contre X pour enregistrement illégal et diffusion sur les réseaux sociaux. Faites-vous une veille particulière sur les réseaux sociaux ? L’histoire de l’Académie de Toulouse nous a amenés à disposer de personnes compétentes en ces matières et d’une organisation spécifique. Nous avons un pôle civique qui regroupe un certain nombre d’acteurs, notamment un groupe d’universitaires « valeurs démocratiques ». Dans cette cellule il y a une veille des réseaux sociaux et nous sommes en contact avec la cellule interministérielle sur la radicalisation. Nous pouvons avoir des notifications de tous les côtés. Dans ce cas, nous avons collaboré avec la préfecture du Tarn-et-Garonne qui nous permet d’avoir des informations sur l’environnement de l’établissement. L’équipe académique “valeurs de la démocratie” s’y est rendue la semaine dernière. A quelles fins ? Comme la jeune femme avait annoncé une manifestation dans son tract, nous ne l’avons pas pris à la légère. Le 9 novembre, une vingtaine de personnes de cette cellule sont intervenues pour rencontrer tous les élèves de Première et Terminale pour travailler avec eux sur la laïcité et les valeurs de la République. Il est très important de montrer aux élèves que la laïcité est là pour les protéger. Que pensez-vous de la plainte déposée par la jeune fille ? Elle a déposé une plainte pour discrimination après la publication de la vidéo sur les réseaux sociaux. S’il se sentait vraiment discriminé, il y avait d’autres moyens de le faire savoir que de le diffuser sur les réseaux sociaux. Je pense que cette demoiselle n’a pas mesuré la gravité de cette situation, l’enregistrement lui-même est illégal, mais surtout sa diffusion sur les réseaux sociaux, c’est une menace en soi. Il n’y a pas de menace avérée pour la professeure à ma connaissance, mais nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour la protéger ainsi que l’institution. Le ministère a fait état de 720 signalements d’attaques anti-laïques en France en octobre, un nombre en augmentation. Et l’Académie de Toulouse ? Toulouse est l’une des six académies de France avec le plus de signalements. Ces abayas portantes ont également été rencontrées dans d’autres installations. Sauf qu’à chaque fois la question a été tranchée par les responsables des établissements sur la base du dialogue avec les familles et les élèves. Le seul événement où nous sommes allés jusqu’à menacer de créer un processus d’interdiction était celui de Bourdelle, le seul événement où une étudiante a démissionné pour lui permettre de porter l’abaya parce qu’elle ne voulait pas l’enlever pour étudier. Ces signalements augmentent-ils ? Par rapport à l’année dernière, oui, ils sont en augmentation et c’est principalement lié à l’utilisation de l’abaya. Même si certains étudiants pensent, dont cette demoiselle, que leur intention n’est pas de porter atteinte aux valeurs de la Démocratie mais que c’est leur façon de s’habiller. Certains étudiants n’y ont peut-être pas vu de risque, c’est aussi un vêtement que l’on trouve dans les magasins de mode, tout dépend du sens que l’on donne à le porter.