Plus les semaines passent, plus le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice ressemble à une impossible analyse post-mortem de ce qui se passait dans la tête du terroriste. L’interprétation donnée aux faits et gestes de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui a tué 86 personnes dans un camion sur la Promenade des Anglais avant d’être abattu, dépend du sort de plusieurs accusés dans ce procès. Ils doivent tous leur présence dans le box à l’abondance de preuves à charge laissées par le terroriste juste avant qu’il passe à l’action. En l’absence de l’auteur des faits, ce baiser de Judas ouvre un abîme d’hypothèses : emporté par un délire psychotique, le tueur de la Promenade des Anglais a-t-il imaginé une cellule terroriste qui n’existait pas, comme disent les bancs de la défense ? Ses amis ont-ils été impliqués dans la préparation de son attentat, comme le pensent de nombreux juristes politiques ? Le président du tribunal d’exception de Paris, Laurent Raviot, a formulé, jeudi 10 novembre, un troisième dossier sous forme de concordat : ​​et si le délire du terroriste avait été alimenté et entretenu par l’un des accusés ? Lire aussi : L’article est destiné à nos abonnés Dans le procès de l’attentat de Nice, un prévenu se noie seul dans le bar
Après avoir examiné le cas d’un premier prévenu, Walid Ghraieb, qui, niant tout, n’a rien clarifié, le tribunal spécial de Paris s’intéresse depuis mardi à un deuxième ami du tueur, Chokri Chafroud. Son interrogatoire de jeudi a duré près de neuf heures. Neuf heures à essayer de donner un sens au cerveau souffrant du tueur, neuf heures d’inlassables questionnements ont abouti aux mêmes réponses : “Je ne suis pas dans sa tête”, “Je ne sais pas ce qui se passait dans sa tête”.. Il aura fallu toute la patience et la délicatesse du président pour tenter d’injecter un peu de rationalité dans un dossier qui manque cruellement et sur lequel pèse une grande part de misère spirituelle.

“C’est pour Chokri et ses amis”

Chokri Chafroud, un Tunisien de 43 ans au parcours chaotique, travaillait alors dans le BTP à Nice. Issu d’une famille d’agriculteurs du sud tunisien, il quitte l’école à 11 ans pour vendre des fleurs aux touristes dans un hôtel de Sousse avant d’immigrer, à 26 ans, en Italie pour travailler dans l’hôtellerie. Dix ans plus tard, à l’été 2015, il s’installe illégalement à Nice. Il vit dans la rue, “comme un vagabond”, lorsqu’il rencontre, fin 2015, Mohamed Lahouaiej Bouhlel dans un bistrot niçois, “Le Gaulois”. Cet homme, dont l’intelligence est « en dessous de la moyenne » selon un expert, est au cœur du mystère originel de ce dossier : six minutes avant de foncer son camion dans la foule, Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait envoyé un SMS à un autre prévenu, Ramzi Arefa, présentant Chokri Chafroud comme complice : “Salam Ramzi (…) je voulais te dire que le pistolet que tu m’as donné hier est très bon, alors on en ramène 5 de chez ton ami, 7 rue Miollis, 5e étage. C’est pour Chokri et ses amis, [ils] sont prêts pour le mois prochain. » Il vous reste 75,49% de cet article à lire. Ce qui suit est réservé aux abonnés.