C’est une ambiance tendue qu’auraient volontiers fait les organisateurs de la Route du rhum, dont 138 bateaux qui doivent mettre le cap, mercredi 9 novembre, pour la Guadeloupe, depuis la cité corsaire de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). . La catégorie Ultime – dont les principaux sponsors sont Sodebo (Thomas Coville), Gitana (Charles Caudrelier), Banque Populaire (Armel Le Cléac’h), Actual (Yves Le Blevec) – critique François Gabart, skipper du trimaran SVR depuis des mois. – Lazartigue, car il n’a pas respecté la conformité architecturale de la catégorie.
La catégorie Ultime est basée sur la règle 3.11 de la RSO (Offshore Special Regulations) qui stipule que “Winches [qui servent à border les voiles] doit être installé de manière à ce que l’opérateur n’ait pas à se trouver sous le pont.»
Justice a été rendue. En juillet, une décision a été rendue à Paris, privilégiant la forme plutôt que le fond, qui permettait à M. Gabart d’exploiter la Route du rhum grâce à une dérogation – la conformité ou non du volant d’inertie du maxi-trimaran n’étant pas encore décidée. Depuis, un froid polaire s’abat sur ce club fermé et aristocratique de pilotes d’hydravions à coque, singularité et fierté de quelques riches armateurs français.
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Qu’il suffise de dire qu’un tel conflit est un repoussoir puissant pour les nouveaux investisseurs. Jamais dans l’histoire récente de la course en mer les querelles n’ont été aussi intenses. Charles Caudrelier, Armel Le Cléac’h et Thomas Coville passent ainsi au mieux pour des mauvais dormeurs, au pire pour des “bâtards” comme le dit un observateur. Et le vivre très mal. Rarement aura-t-on vu Charles Caudrelier aussi sérieux : « J’avoue que c’est une histoire inexplicable pour le plus grand nombre, mais il y a une règle. On souffre du manque de courage des arbitres. Aujourd’hui, il [François Gabart] il a une plate-forme plus mature… »
Le capitaine du trimaran Maxi-Edmond-de-Rothschild fait pourtant bonne figure, mais il est déchiré de l’intérieur par cette “faille”, comme certains l’appellent. Il évoque son concurrent par le passé, preuve que les liens sont rompus : “J’ai été insulté par la partie adverse et c’est dur à accepter”, dit-il.
“Il faut s’asseoir autour d’une table”
Jusqu’où sont passées les chaleureuses harmonies qui régnaient au lancement de la catégorie Ultime. Yves Le Blevec, skipper du trimaran Actual, ancien bateau de François Gabart, est un marin qui parle or. Ni médiateur ni méprisant, il aimerait qu’une trêve soit trouvée avant d’en arriver à ces extrêmes : « Je suis content que Gabbar soit au début. Pas de manichéisme, l’important est de respecter toutes les règles, mais nous avons tous cette notion de lumière orange en nous [de jouer avec les limites de la règle]. François n’a aucune capacité à se défendre. »
Ceci est évidemment démenti par la partie adverse. “On devait s’asseoir autour d’une table, mais personne n’y est arrivé”, déplore Yves Le Blevec. A tel point que certains parlent déjà d’un fiasco de classe Ultimate dont il n’a pas pu se remettre. François Gabbar ne parle presque plus : « Ce bateau a été fait pour cette course. Pour le reste, nous n’avons pas les papiers en main”, s’échappe-t-il.
Le conflit jette une lumière brutale sur la gouvernance d’armateurs très amateurs, en proie à des conflits d’intérêts. Francis Joyon a déclaré qu’il n’aurait pas commencé le match si Gabart n’avait pas été présent. Il a appelé à une réforme immédiate de la gouvernance régissant l’Ordonnance définitive. On verra dans quelques jours sur la plateforme si les “flying skippers” peuvent encore se serrer la main.
Un fait incontestable : le respect mutuel qui unit le sport a touché le fond. Je ne peux pas non plus imaginer que les règles de la solidarité maritime ne s’appliquent pas en cas de naufrage.
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Jean-Louis Le Touzet (Saint-Malo, envoyé spécial)