Franceinfo : Était-ce compliqué d’enquêter sur cette affaire ? Hugo Clément : Oui, car c’est un sujet sensible. L’industrie pharmaceutique est très opaque, il était donc difficile de trouver les témoignages, d’accéder à certains endroits. Montrer la pollution de l’environnement n’a pas été facile, il a fallu des semaines de recherche, des mois de tournage. Au total, il a fallu près d’un an pour réaliser le documentaire. La partie en Inde était vraiment difficile, car il y avait beaucoup de pression de la part de la police. Qu’est-ce qui vous a le plus choqué ? La suite de l’éleveur de lapins. Je trouve étonnant qu’un éleveur explique qu’il ne mange pas les lapins qu’il produit. Cela signifie qu’il y a un problème. Ces lapins, sélectionnés pour grandir rapidement et vivre à proximité, ont un système immunitaire très fragile. La moindre maladie peut décimer une exploitation, alors pour éviter ce risque qui entraînerait des pertes financières importantes, un grand nombre d’éleveurs les traitent préventivement avec des antibiotiques. C’est un bond en avant, car plus nous en consommons, plus les bactéries apprennent à résister à ces médicaments, et plus nous devrions en consommer. J’ai également été très impressionné par la séquence de la résistance aux antibiotiques. J’ignorais complètement la gravité de la maladie et n’avais aucune idée à quel point elle pouvait devenir un véritable problème de santé publique et, à terme, causer davantage de décès par cancer. Je ne savais pas qu’il y avait déjà des personnes hospitalisées en France, dans une forme d’impasse thérapeutique, avec des infections apparemment anodines et finalement incurables.
La viande produite avec des antibiotiques de croissance est désormais interdite en France Tous les antibiotiques ont tendance à devenir inefficaces. J’ignorais également que nous avions des bactéries résistantes dans notre environnement en France. Un autre sujet de votre documentaire concerne les stations d’épuration qui ne filtrent pas les résidus de médicaments. Pourquoi les autorités ne s’occupent-elles pas du problème ? Parce que c’est une question de coût. Doter les stations d’épuration d’équipements leur permettant de se débarrasser des résidus de médicaments augmenterait légèrement la facture d’eau. Mais ce n’est en fait pas si cher que ça, c’était environ un euro de plus dans la ville où nous sommes allés. C’est peu, mais c’est un frein assez puissant pour que la plupart des unités de traitement n’en soient pas équipées. Il n’en existe que quatre en France équipés de filtres performants. “C’est aussi un choix politique de savoir ce qu’on veut et quelle est la priorité. Ce problème est complètement sous-estimé et les scientifiques que nous avons rencontrés sont très inquiets.” Hugo Clément, journaliste chez franceinfo Les chercheurs sont très préoccupés par l’effet croissant de la contamination de l’eau qui rend les antibiotiques inefficaces et les conséquences qui se produiront dans les années à venir.