En mai, Agnès Pannier-Runacher, la dernière en date ministre de la Transition énergétique, évoquait un autre geste vert, dans BFM. “Nous allons éteindre la lumière en pensant que nous avons fait une grosse économie d’énergie et envoyer une sorte de mail amusant à nos amis avec une pièce jointe et nous aurons utilisé beaucoup plus d’énergie”, a-t-il déclaré. Est-ce vraiment un geste efficace ? Au Royaume-Uni, le fournisseur d’énergie OVO Energy a publié une étude (en anglais) en 2019 concluant que si chaque Britannique envoyait un e-mail de moins par jour, les émissions de CO2 seraient réduites de 16 433 tonnes par an. Ce numéro (Royaume-Uni uniquement en 2019) est publié en France, avec une approche supplémentaire de la traduction. On peut y lire que “supprimer un email équivaut à 16 tonnes de CO2 économisées”, au lieu de “supprimer un email envoyé”. Ces 16 tonnes économisées équivalent à “16 allers-retours Paris-New York”, peut-on lire dans une infographie partagée sur Twitter et LinkedIn. Sur les réseaux sociaux, une infographie exhortant les gens à supprimer leurs e-mails est devenue virale. (MOMENT TWITTER) « Un e-mail contamine dès son envoi, avec son parcours dans les réseaux », explique Francis Vivat, ingénieur de recherche au Laboratoire d’observations atmosphériques, environnementales et spatiales (LATMOS) affilié au CNRS. L’envoi d’un email consomme de l’énergie par l’attraction du serveur expéditeur et du serveur destinataire par lequel il transite. Cet impact peut varier en fonction du nombre de destinataires et de la taille des branchements, mais aussi du mix énergétique, si l’électricité consommée est produite par des moyens de production fortement émetteurs de CO2, comme les centrales à charbon. A cela, il faut ajouter la pollution créée par le temps que mettent les différents interlocuteurs à écrire le mail et à le lire sur ordinateur ou mobile. Supprimer un mail est aussi une activité polluante, pointe Frédéric Bordage, fondateur du collectif Green IT d’experts en sobriété. “Le temps consacré à la suppression” annule le bénéfice “d’éviter les effets du stockage”, prévient l’expert. Selon l’étude OVO, il serait possible de réduire les émissions de CO2 liées aux e-mails simplement en évitant d’envoyer des e-mails de remerciement. Chaque jour, « 64 millions de courriers indésirables » contenant uniquement les mots « Merci » ou « Merci » sont envoyés au Royaume-Uni, selon cette étude de 2019. Bien qu’il soit difficile de mesurer avec précision l’impact environnemental d’une mission, les estimations reposent sur des méthodologies souvent discutables selon GDS EcoInfo, un groupe d’experts en environnement lié au CNRS, selon la revue anglaise spécialisée sur l’environnement Carbon Literacy, le bilan carbone L’empreinte d’un email peut varier de 0,03g à 26g CO2 (pour un email envoyé à 100 personnes). Un court message de “merci” produit “environ 1 g d’équivalent CO2”, détermine l’expert en pollution numérique Frédéric Bordage. Si un utilisateur en envoie un de moins par jour, il évite l’émission de 365 g de CO2 par an. Multipliée par le nombre d’internautes adultes au Royaume-Uni (un peu plus de 45 millions, selon OVO), cette économie pourrait permettre une réduction de 16 433 tonnes de CO2 pour l’ensemble du Royaume-Uni, soit l’équivalent de 16 émissions parisiennes -New Round allers-retours vers York (un aller-retour qui produit une tonne de CO2, selon l’Aviation civile). L’impact carbone de la réduction de l’acheminement du courrier est cependant « epsilonique » par rapport aux autres sources de pollution, a jugé Frédéric Bordage. Si éviter les mails est un geste “positif” pour l’écologiste, les mails sont “l’arbre qui cache la forêt” de l’empreinte créée par la production des appareils. “Dans le cas d’un smartphone conservé trois ans, 80% des émissions sont produites lors de sa fabrication et 20% lors de son utilisation”, abonde Didier Mallarino, ingénieur de recherche au CNRS à l’OSU Pythéas et co-directeur du GDS EcoInfo. . . “L’empreinte de tous les emails envoyés par un professionnel pendant un an s’élève à 75 kg de CO2 alors que l’achat d’un deuxième moniteur produit 530 kg de CO2”, ajoute Frédéric Bordage. Dès lors, il s’agit plutôt de “rallonger la durée de vie des équipements et d’éviter les suréquipements” pour réduire efficacement la pollution numérique, juge le fondateur de Green IT. Parmi les usages, l’envoi de courrier n’est pas le plus polluant. “L’email représente une part relativement insignifiante de l’ensemble des usages numériques”, insiste Didier Mallarino. “Si on fait un top 10 des usages de la bande passante, les mails n’y figurent pas”, assure Emmanuelle Frenoux, maître de conférences au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN) de l’université Paris-Saclay. Les trois usages les plus importants sont “le streaming (60% du trafic), la navigation web (13%), les jeux (8%)”. Se forcer à envoyer moins d’e-mails peut cependant être un moyen de “prendre de bonnes habitudes”, estime l’universitaire. “Si nous commençons à nous demander s’il est utile d’envoyer un e-mail de remerciement, nous pouvons espérer que nous nous demanderons également s’il est nécessaire de regarder des vidéos de chatons sur YouTube.” Selon le groupe de réflexion The Shift, le visionnage de vidéos en ligne est responsable de près de 1 % des émissions mondiales de CO2 (PDF).