Posté à 5h00
Hugo Pilon-Larose La Presse
La Presse l’a rencontré jeudi dans une salle de conférence du Collège international Marie de France, à Montréal. Le ministre venait de passer la journée à la Cour d’appel, où il avait rencontré son homologue du gouvernement Legault, Simon Jolin-Barrette. Les deux politiciens ont discuté des mécanismes appliqués dans les cas de violences sexuelles et domestiques. Ils ont également exploré comment le Québec entendait accroître le recours aux règlements hors cour afin de désengorger les tribunaux. « J’ai beaucoup à apprendre de la procédure mise en place au Québec pour les procédures civiles », déclare Me Dupond-Moretti, avocat de carrière qui occupe une position vedette dans son domaine en France. A 61 ans, celui qui a l’oreille du président Emmanuel Macron est une figure majeure du gouvernement de la Première ministre Elizabeth Bourne. « Éric Dupond-Moretti est un très bon personnage. Cela ne passe pas inaperçu. Il a une structure, il a une voix qu’il porte. Il était un peu une terreur des tribunaux quand il était avocat. Il s’est souvent attaqué à des affaires très médiatisées et ses adversaires, nombreux – notamment parmi les juges – lui ont reproché de ne pas être au courant”, explique le professeur Jean-Pierre Beaud, spécialiste de la politique française à l’Université du Québec à Montréal. (UQAM). Ce [Éric Dupond-Moretti] veut sont plus de moyens pour la justice. Il a un petit côté Robin des Bois, mais ce n’est pas un Robin des Bois qui vit dans les bois. Il mange bien, il doit bien chasser. Il est aussi très intelligent et a plus d’un tour dans son sac. Jean-Pierre Beaud, expert en politique française et professeur à l’UQAM
Impliquer les citoyens
Au cours de l’entretien, où les réponses – documentées – prennent souvent des allures de notes de service, Éric Dupond-Moretti détaille les grandes lignes des réformes qu’il souhaite introduire pour le système judiciaire français. “Nous voulons créer une résolution amiable des litiges. Pourquoi ? Parce que lorsque nous participons à son procès, nous acceptons mieux la décision de justice. Deuxièmement, nous gagnons beaucoup de temps. Cette fois, nous sommes dehors et environ […] pourront [être] ils sont dépensés pour d’autres choses, en particulier l’élimination des stocks qui se sont accumulés au fil des décennies », dit-il. « Ce n’est plus le juge qui, avec son empire, décide. [Dans un procès]celui qui a perdu est convaincu qu’il a été mal jugé”, précise M. Dupond-Moretti. PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice de France Si vous le forcez à participer au jugement […], le parti a le sentiment que les choses vont mieux. Cette justice était prudente. En matière de lien social, le contrat social est fondamental. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice de France Le garde des sceaux se dit également préoccupé par la montée des extrémismes, qui remet en cause, en France comme ailleurs, certaines institutions. “Il y a une forme de populisme qui se répand partout et qui mine les institutions. En France, il n’y a pas que l’Assemblée nationale [fait] ce. C’est aussi l’extrême gauche, La France insoumise, qui prône la désobéissance civile. […] Cependant, je pense que la justice est notre contrat social. Il est impératif, impératif que nous lui fassions confiance », a-t-il lancé en lançant des flèches québécoises sur ses adversaires.
Confiance dans le système
De sa voix rauque, le regard fixe, le ministre français assure suivre de près les programmes pilotes menés au Québec pour créer un tribunal spécialisé dans les violences sexuelles et conjugales. “Nous avons beaucoup à apprendre. Je le dis sans fausse modestie : je pense qu’il faut chercher les bonnes idées là où elles sont. Ces bonnes idées se trouvent ici », dit-il, bien conscient que le système québécois fait aussi face à des problèmes d’accès à la justice. En ce qui concerne la langue française, Éric Dupond-Moretti se dit sensible aux critiques souvent vives émises au Québec sur la diffusion des anglicismes en France. Son homologue québécois, Simon Jolin-Barrette, a également appelé les Français en juin dernier à contrer cette tendance, dans un discours à l’Académie française. “Tous les pays qui ressentent ou prévoient une menace pour leur culture et leur langue sont beaucoup plus prudents que les pays où il n’y a pas de telle menace”, a déclaré le ministre. A la maison, la grande émission à succès, ça ne s’appelle pas The Voice. Ça s’appelle La Voix. […] Mais nous, comme nous ne sommes pas en état [comme la vôtre]parfois on se laisse aller à des anglicisations qui, moi, me plissent les oreilles. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice de France Mais pas au point, précise-t-il, de préparer une loi française 101. Cette visite d’Éric Dupond-Moretti – un habitué du Québec, puisqu’il est l’époux de la chanteuse Isabelle Boulay – intervient alors qu’il est déféré en France devant la Cour de la République, juridiction chargée de juger les membres du gouvernement. Le Monde expliquait en octobre dernier que « le garde des sceaux est accusé que, quelques semaines après sa nomination, […] ordonné à l’Inspection Générale de la Justice des Enquêtes Administratives […] contre des juges avec lesquels il avait lutté en tant qu’avocat. Éric Dupond-Moretti nie s’être mis en conflit d’intérêts dans ces dossiers. Le procès ne devrait pas avoir lieu avant fin 2023.