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“Je n’avais jamais vu ça avant. »
Cette phrase a été entendue à maintes reprises par Le Journal lorsqu’il s’adressait ce printemps à une vingtaine d’enseignants et d’intervenants de diverses régions. Des ouvriers expérimentés qui en avaient vu toutes les couleurs auparavant.
Jean-Philippe Viau est professeur adjoint depuis plus de 10 ans à la même école primaire à Montréal auprès d’élèves de cinquième et sixième année. Avant, il pouvait compter environ cinq élèves dans une classe de 20 élèves ayant du mal à comprendre un texte en français.
“C’est la moitié maintenant. Facilement. »
Il n’est pas encore revenu
Bien que la dernière année se soit passée presque entièrement en présentiel, la normalité ne semble pas être revenue à l’apprentissage, selon les personnes interrogées.
Beaucoup soulignent que c’est en fait l’écart entre les plus forts et les plus faibles qui s’est creusé.
“D’habitude, j’ai des élèves forts, moyens et faibles. Là, je n’ai pas vraiment les moyens », observe François Régimbal, professeur de sociologie au Cégep du Vieux Montréal.
Lorsque nous braquons les projecteurs sur les plus faibles, le portrait semble dérangeant dans de nombreux endroits, en particulier dans les communautés défavorisées et non parlantes.
“Nos jeunes ne vont pas bien”, soupire Crystel*, qui travaille comme psychologue scolaire à Montréal.
Trois élèves de son école ont eu un grave mutisme cette année, ce qui signifie qu’ils ont cessé de parler. Ce trouble est rare. Dans une année normale, il y en aurait au plus un dans toute l’installation.
“Nous avons un enfant en 5e année qui lit huit mots par minute. Il s’agit d’un niveau de première année. »
Des cas plus graves
Les élèves qu’il voit sont ceux qui ont le plus de difficultés, ce qui n’est pas représentatif de l’ensemble. Mais la gravité des cas qui aboutissent dans son cabinet s’est détériorée.
Certains enfants migrants avaient déjà été laissés pour compte en raison de leur parcours migratoire. Puis, dès leur arrivée au Québec, la pandémie et l’enseignement à distance sont venus paralyser à nouveau leur cheminement.
“Avant, quand un élève avait deux ans de retard, on se disait ‘Oh mon Dieu.’ Là, ça prend trois ou quatre ans […] J’ai peur qu’il ne rattrape pas tout. »
Au lycée, c’est la motivation et le manque d’organisation — des adolescents qui inquiètent les enseignants les plus sollicités. Beaucoup admettent qu’ils ont dû revoir leurs attentes à la baisse.
“La pandémie a tout arrêté. C’est comme [les jeunes] “Ils attendaient toujours”, raconte Penelope*, qui enseigne le français à Montréal.
► * Noms fantastiques. De nombreux travailleurs qui ne sont pas protégés par un rôle syndical sont restés anonymes afin de ne pas révéler l’identité de leurs élèves et d’exercer des représailles contre le centre de services scolaire.
Il n’est pas facile de s’adapter au lycée
Photo de Dominique Scali
Medhi Rougui et Mia Dominguez, 14 ans, fréquentent l’école secondaire 2 de deux écoles au large de la côte sud de Montréal.
Les élèves qui ont terminé l’école primaire pendant la pandémie ont le sentiment d’avoir été laissés seuls deux fois dans leur transition vers l’école secondaire en raison de l’enseignement à distance. “C’est comme si je m’étais adaptée, mais pas de la bonne manière”, explique Mia Dominguez, 14 ans. Un enseignant déduit-il des notes lorsqu’un emploi n’est pas rendu? Il suffit d’écrire n’importe quoi cinq minutes avant le cours et le tour est joué, s’illustre timidement l’élève de 2e secondaire de la Montérégie. Pendant deux ans, leur vie scolaire était basée sur des cours virtuels. Les exigences ont été assouplies, les examens au ministère ont été annulés. “Les jeunes ne sont pas fous. On nous dit : “Quoi qu’il en soit, je ferai pareil”, lance Laurence*, qui enseigne les mathématiques en deuxième année à l’Abitibi. longue marche Les élèves actuellement dans l’enseignement secondaire étaient en 6e année, lorsque les écoles ont complètement fermé en mars 2020. De nombreux enseignants ont admis qu’ils étaient plus polis que d’habitude. Mais maintenant que la normalité est de retour, le niveau du lycée l’est aussi. “J’ai compris qu’il fallait que j’étudie pour revoir mes notes, mais je n’ai pas compris comment étudier parce que je n’ai jamais [eu à le faire] », raconte Sydney Fleury, 14 ans. “J’aurais dû être plus indépendant, mais je ne sais pas comment faire”, a déclaré Medhi Rougui, 14 ans. C’était comme si nous nous attendions à ce que nous le soyons déjà. » L’agenda, le matériel, le placard, les changements de lieux : tout cela n’aurait dû être pris en compte ni dans les cours élémentaires ni dans les cours virtuels. Son collège privé fonctionne avec un système de points. Chaque fois qu’il oublie d’apporter sa calculatrice ou son travail, il perd des points. Il a tellement perdu qu’il craint maintenant d’être viré. “Je suis triste, mais j’essaie de ne pas y penser […] “J’aime cette école”, déclare le jeune fan de basket. Il croit qu’il finira par s’adapter, avec le temps. Sa principale motivation ? « Ne m’expulsez pas. » LE CHAMP D’APPLICATION FRANÇAIS Traditionnellement, la matière pour laquelle Alloprof reçoit le plus de demandes d’aide aux devoirs est la mathématique. Mais pas de la pandémie. “C’est devenu français”, explique le directeur stratégique Marc-Antoine Tanguay. Ce constat rejoint les observations de nombreux intervenants, notamment à Montréal. “Je n’ai jamais eu d’élèves aussi faibles en français”, raconte Mireille*, qui enseigne en terminale du primaire. Certains praticiens ont remarqué une telle baisse de maîtrise chez certains élèves qui pensaient au départ qu’il s’agissait d’un trouble du langage. “Finalement, on s’est rendu compte que c’était uniquement parce qu’ils étaient moins exposés au français”, raconte Eugénie*, qui travaille comme psychopathe. Car pour les jeunes issus de l’immigration, la langue de Molière ne s’apprend pas seulement en français, mais tout au long de la journée. Cependant, leur incarcération les a privés de toutes ces interactions en français. “Nos parents nous ont dit : ‘Mon enfant n’a pas appris le français’”, acquiesce la psychologue Crystel*. “Ils parlent beaucoup l’anglais, on perd le contrôle”, raconte Penelope*, qui enseigne le français au lycée à Montréal. Elle constate que plus que jamais ses élèves recherchent leurs mots, s’efforcent de structurer leurs phrases, d’exprimer clairement leurs idées. OPTIONS ACOUSTIQUES En 5ème-6ème, Mireille* estime avoir trois élèves à évaluer car ils sont très en retard et semblent avoir plusieurs difficultés d’apprentissage. Des trois, il ne peut en choisir qu’un. Un choix « déchirant », avoue-t-il. Beaucoup soulignent que les effets néfastes de la pandémie coïncident avec le manque de personnel dans les écoles. «C’est un cocktail détonnant», lance Marjorie Racine, enseignante au primaire à Longueuil. En tant que psychologue scolaire, Crystel* a l’habitude de ne pas pouvoir répondre à tous les besoins, tellement ils sont grands. “Mais là, les élèves qui sont identifiés comme prioritaires ont une priorité encore plus élevée qu’avant. » Se concentrant sur les jeunes qui traversent une période difficile, il n’a pas le temps de s’occuper de la “partie médiane”, les jeunes qui auraient le plus d’opportunités pour couvrir la différence. “Mais nous ne pouvons pas laisser les plus vulnérables sans services. C’est un choix terrible. » PEUR DE SE METTRE EN ORDRE La quasi-totalité des salariés interrogés déclarent avoir constaté une augmentation du stress. “J’ai beaucoup d’élèves qui ne veulent plus venir à l’école tellement ils sont stressés”, raconte Eugénie*, une psychologue basée à Montréal. Un grand nombre de jeunes prenaient déjà des médicaments pour traiter le trouble déficitaire de l’attention. Mais voilà qu’il fait prendre à des élèves de 10 ans un tout autre genre de molécules : des anxiolytiques pour calmer leur anxiété. “Au début de l’année, j’avais…