Posté à 6h30
Il est entendu qu’une entreprise qui héberge des personnes âgées a souffert des effets de la pandémie. Il est également compréhensible qu’il soit aux prises avec des hausses de taux d’intérêt alors qu’il a 1 milliard de dettes. Laissez l’inflation et les pénuries de main-d’œuvre la blesser, très bien. Mais que la direction de Groupe Sélection soit incapable d’expliquer comment sont dépensées les dizaines de millions de dollars qui lui sont prêtés dépasse l’entendement. Imaginez, les dirigeants ne sont pas en mesure de savoir combien d’argent est dépensé mensuellement par projet de construction, ni même de dire quel est le taux de participation à chaque projet, a déclaré mercredi devant la cour l’expert Christian Bourque. “C’est incroyable. Je n’ai jamais vu ça auparavant dans ma carrière […] Il est incompréhensible et inacceptable qu’une entreprise de la taille de Selection Group ne puisse pas fournir des informations clés aussi fiables”, a déclaré le responsable de la restructuration de PricewaterhouseCoopers, mandaté par l’union bancaire. M. Bourque s’est présenté pour expliquer son rapport au tribunal détaillant les problèmes de l’équipe de sélection. Il a suivi l’entreprise sur la piste ces derniers mois, en tant qu’agent des banques. C’est lui qui agirait comme vérificateur de Groupe Sélection si le juge Michel A. Pinsonnault s’entendait avec les créanciers et non avec l’agent Réal Bouclin pour orchestrer la restructuration juridique de l’organisation. Selon Christian Bourque, les prévisions financières de Selection confondaient parfois bénéfices comptables et capitaux propres. La discrimination est pourtant un concept clé en comptabilité et est cruciale dans les projets de construction. De plus, la direction n’a pas pu fournir le niveau des comptes créditeurs par projet. “La capacité financière était désorganisée, manquant de compétences, comme si elle n’était pas priorisée par son propriétaire [Réal Bouclin] “, il a dit. L’entreprise avait un taux de roulement élevé dans son service financier. Elle a notamment eu trois directeurs financiers pendant trois ans et a connu plusieurs crises de liquidité. Selon les estimations de M. Bourque, l’entreprise a un déficit de trésorerie de 7 millions de dollars par mois. Le manque à gagner s’explique par les déficits d’exploitation de ses résidences pour personnes âgées (2 millions par mois) et les importants besoins de liquidités des cinq projets de construction en cours (Espace Montmorency, terrain Molson, etc.), entre autres. Pour clarifier la situation, Christian Bourque demande à plusieurs reprises à rencontrer le propriétaire, Réal Bouclin, mais l’homme d’affaires envoie plutôt ses subalternes. J’ai rencontré le président la semaine dernière [dans les bureaux de la firme d’avocats des créanciers, Norton Rose]. En 33 ans d’expérience, cela ne m’est jamais arrivé. Christian Bourque Le comptable est venu expliquer que les financements bancaires de mai 2020, mai 2021 et février 2022 avaient pour condition centrale que l’entreprise vende des propriétés comme moyen de remboursement, sans faire suffisamment de profits pour rembourser. Le temps a passé, la pandémie a réduit le taux d’occupation des logements, les taux d’intérêt ont augmenté, faisant chuter la valeur des immeubles, ce qui a empêché l’entreprise de respecter le plan de vente. Malgré ce contexte dommageable, la société a continué à préparer de nouveaux projets immobiliers coûteux. Aujourd’hui, les financements bancaires s’élèvent à 272 millions, auxquels s’ajoutent, entre autres, les premiers prêts à l’habitat. Comme les 272 millions sont essentiellement garantis par la valeur nette des immeubles (la partie capital) et que cette valeur – environ 400 millions – s’est évaporée, les banques perdront de très grosses pertes dans ce cas. Aussi, selon son rapport, Christian Bourque affirme qu’étant donné l’absence de trésorerie provenant des opérations de l’entreprise depuis 18 mois, les 136 millions de fonds qu’elle a investis dans des projets proviennent en fait essentiellement de financement bancaire. Autre fait inquiétant : l’option avait engagé 14 millions pour payer l’impôt sur la seule opération qu’elle a pu faire, en 2021, un montant qui devait être versé au fisc avant juin 2022. Or, près de la moitié de ce montant a servi à d’autres fins. Aujourd’hui, aucune des six institutions financières (Nationale, CIBC, Desjardins, etc.) ne soutient Réal Bouclin, ni les autres prêteurs, ni Investissement Québec, ni ses partenaires de construction (Montoni, Fonds FTQ). Ce n’est pas une liquidation, monsieur, c’est un divorce. Partenaires et créanciers ne veulent plus jouer avec M. Bucklin, ils ne croient plus en lui. Christian Bourque En contre-interrogatoire, l’avocat Guy P. Martel, de Stikeman Elliott, a noté que le rapport de Christian Bourque penchait vers une liquidation pure et simple, plutôt qu’une restructuration, comme l’indique sa déposition, ce que l’expert-comptable a nié. Pour cela, les créanciers avaient, en début d’audience du matin, désigné un avocat pour représenter les 15 000 résidents des Ehpad et autres immeubles afin de montrer leur intention de bien traiter les résidents. Autre attaque de Me Martel : pourquoi Christian Bourque n’a-t-il pas fait un bilan aussi négatif en février dernier alors que Sélection recevait un autre financement bancaire de 50 millions ? Le comptable a répondu qu’il s’agissait alors d’une autre forme de rapport, essentiellement. Enfin, l’avocat a demandé si son plan ne signifiait pas un arrêt complet des travaux en cours. M. Bourque a répondu qu’il verrait ce qu’il ferait après des analyses plus poussées de la situation s’il recevait l’ordre du vérificateur. Cette histoire n’est-elle pas incroyable ?