Dans le commerce de détail, la concurrence est féroce. Par conséquent, la qualité et l’efficacité du service sont essentielles. Et la rentabilité… D’où l’importance qu’Alain Bouchard accorde à l’aménagement des magasins. Ce sont des batailles quotidiennes dans les rues, décrit M. Bouchard, qui a fondé, avec trois autres entrepreneurs, Alimentation Couche-Tard, un chef de file dans le domaine du commerce de proximité. Il faut se battre pour garder nos clients, donc il faut être très motivé. Alimentation Couche-Tard met en place le “frictionless shopping”, c’est-à-dire une caisse libre-service qui réduit les goulots d’étranglement aux caisses traditionnelles. Photo : Owen Egan/Aliments Couche-Tard Par exemple, pour réduire le goulot d’étranglement des paiements, la direction de Couche-Tard teste des caisses libre-service dans ses magasins, un labo. Ce n’est pas le seul laboratoire de Couche-Tard. En Norvège, où le géant québécois est implanté, il est le plus important détaillant d’équipements de recharge pour véhicules électriques. Ces bornes de recharge sont également vendues à des particuliers. Plusieurs milliers de résidents ont nos équipements, indique Alain Bouchard. Le président du conseil d’administration de Couche-Tard n’écarte pas la possibilité d’un transfert de cette expérience au Québec. Il s’agit toujours d’un programme en cours, dit-il, car de nombreux facteurs doivent être pris en compte. Chose certaine, le modèle d’affaires de Couche-Tard, qui repose principalement sur la vente d’essence, doit évoluer. Une réflexion qu’Alain Bouchard avait entreprise il y a plusieurs années, lors d’une réunion de son conseil d’administration à Copenhague. Le portrait est devenu plus clair. Au cours des deux ou trois dernières années, plus de 80 % des voitures vendues ont été électriques ou hybrides en Norvège, note-t-il. Les voitures à combustion existent depuis longtemps, dit-il. Mais nous devons nous préparer à une transformation. On a culminé en 2019, je ne parle pas du pétrole ici, mais de notre secteur. Ma lecture est que le maximum a été atteint, a-t-il dit. Nous évoluons avec l’évolution du marché lui-même, avec le concept de recharge électrique. « Cela prendra beaucoup de temps, mais, oui, cela arrivera. Alors, il faut se préparer, il faut se transformer, il faut réorganiser nos métiers pour vendre autre chose, pour attirer les clients autrement. » — Une citation d’Alain Bouchard, président du conseil d’administration d’Alimentation Couche-Tard Alain Bouchard a interviewé Patrice Roy à ICI RDI. Photo : Radio Canada

Un premier dépanneur à Laval

Alain Bouchard a commencé son empire en 1980 en ouvrant le premier dépanneur à Laval. Couche-Tard a été rejoint par deux autres marques, Circle K et Ingo, et, lors d’acquisitions, d’autres détaillants (Irish Topaz, American CST Brands et Holiday Stationstores, entre autres). Avec ses 122 000 employés, Alimentation Couche-Tard compte plus de 14 000 magasins, avec une présence dans 24 pays et territoires. En France, Alimentation Couche-Tard n’a pas tardé à racheter Carrefour SA, ce qui lui a permis de pénétrer le royaume des supermarchés. Mais ce très beau projet, grâce auquel Alain Bouchard rêvait de fédérer tous les supermarchés du monde, a échoué. Il a échoué parce que la nouvelle de la transaction a été divulguée. Nous avons appris avec la France que la confidentialité n’est pas comme en Amérique, où les règles sont très strictes. Tout le monde y parle. Et c’est sorti prématurément, très prématurément. Je n’essaierai plus. Il y a des “timings” dans les acquisitions, dans les affaires. Quand c’est fini… c’est fini.

L’entrepreneuriat, une valeur

Quand on demande à Alain Bouchard s’il craint qu’Alimentation Couche-Tard ne devienne trop grosse, il arbore un sourire amusé. Pas du tout, non, je n’ai pas cette peur. Je ne veux pas m’arrêter parce que je fais ça pour notre peuple, explique-t-il. Nos employés aiment nous voir grandir, ils aiment s’amuser avec nous et c’est une motivation absolument formidable. Nous avons un président à la maison [Brian Hannasch] qui aime beaucoup le développement, comme moi. C’est probablement pour cela qu’il est devenu président ! Combattant qu’il est, M. Bouchard refuse de dire que son entreprise en a avalé d’autres. « Pour moi, il ne s’agit pas de manger les autres, il s’agit d’amener les autres avec nous, de partager notre culture et ensuite de grandir ensemble. » — Une citation d’Alain Bouchard, président du conseil d’administration d’Alimentation Couche-Tard Et il est heureux que l’entrepreneuriat se porte bien au Québec. Pourtant, lorsqu’au début des années 2000 il vante les mérites de réinventer sa vie au quotidien en lançant sa propre entreprise, Alain Bouchard a l’impression de prêcher en pleine nature. J’ai défendu l’entrepreneuriat au Québec dans tous les forums, que ce soit la Beauce, Saint-Jérôme, Montréal, Québec, Chicoutimi – je viens de là-bas, il fallait que je le mentionne quand même ! – et c’était très difficile dans ces années-là. Et tout à coup, il y a eu un grand changement. Les affaires vont bien, note-t-il, c’est super. Je ne m’attendais pas à voir ça. Le modèle de dépanneur des stations-service est sur le point de changer, indique Alain Bouchard, qui cite l’exemple de la Norvège, où Alimentation Couche-Tard possède des commerces de détail équipés de bornes de recharge pour véhicules électriques. Photo : Radio-Canada / Jean-François Fortier

Nous avons perdu un manager

Mais les pénuries de main-d’œuvre causent des maux de tête aux détaillants. Nous avons perdu un gestionnaire de longue date, déplore Alain Bouchard. Les travailleurs ont dit : “Écoutez, je ne peux plus faire ça, j’aime l’entreprise, j’aime ce que je fais, mais maintenant, le travailleur de nuit n’est pas venu, la personne que j’ai embauchée ne s’est pas présentée”… L’immigration représente une solution aux yeux d’Alain Bouchard, qui demande au gouvernement de François Legault de ne pas négliger cette avenue. Et ces nouveaux arrivants peuvent apprendre le français en entreprise, dit-il. Oui, nous pouvons les tromper, nous le faisons tout le temps, nous apprenons beaucoup plus à nos gens que d’autres types d’entreprises. L’idée que des patrons comme lui veulent que les immigrants viennent chercher de la main-d’œuvre bon marché fait réagir Alain Bouchard. Ce n’est pas ça du tout, proteste-t-il. « Nous voulons une main-d’œuvre, point final. Nous ne voulons pas de « main-d’œuvre bon marché ». Nous formons nos gens, nous leur donnons des opportunités de carrière. » — Une citation d’Alain Bouchard, président du conseil d’administration d’Alimentation Couche-Tard Alain Bouchard est fier d’avoir créé chez les employés d’Alimentation Couche-Tard une culture qui les incite à prendre des responsabilités et à faire preuve d’initiative. Je regarde ce qui est par-dessus les épaules, la personne à qui je parle. comment elle pense, comment elle agit, quelles sont ses motivations, ses valeurs. Dans le commerce de détail, on ne peut pas payer des salaires extraordinaires, reconnaît-il. Nous permettons des carrières, nous ouvrons des horizons pour que nos collaborateurs évoluent au sein de l’entreprise, ce qui nous aide beaucoup. Entrevue avec Alain Bouchard, fondateur et président exécutif d’Alimentation Couche-Tard.

Couche-Tard restera sous contrôle québécois

En 2014, Alain Bouchard a quitté ses fonctions de président-directeur général. Il préside désormais le conseil d’administration de l’entreprise qu’il a fondée avec Réal Plourde, Richard Fortin et Jacques d’Amours. Et il s’occupe de la charité avec sa femme. Il est riche, oui. Il serait prétentieux de dire que cela n’a pas changé ma vie. Il a changé, bien sûr. Mais je n’ai pas besoin de tant que ça. Et cet empire qu’il a créé restera sous le contrôle du Québec, même s’il admet qu’il ne contrôle pas les ambitions de ses actionnaires, ses partenaires. Il serait déjà assez difficile d’acheter Couche-Tard, soutient-il. Il vaut actuellement près de 60 milliards de dollars de capitalisation boursière. Et, si on ajoute la dette, c’est une valeur d’entreprise d’environ 70 milliards. Ajoutez un chèque bonus en plus, ça monte à 80 voire 90 milliards. Le bureau principal est ici, et il restera ici. C’est le plan, pour de bon.